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Plume d'Art

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Photo du rédacteurMarianne Jagueneau

Artemisia Gentileschi : Audacieuse et fascinante artiste peintre de la Renaissance

Dernière mise à jour : 5 oct. 2023

Artemisia Gentileschi est une peintre italienne du XVIIᵉ siècle, dont l'oeuvre s'inscrit dans le courant baroque. Talentueuse, un brin provocante et incroyablement libre, elle utilise son art pour se placer au rang de ses homologues masculins et vivre sa vie sans la tutelle d'un homme. Loin de se limiter à des oeuvres de genres mineurs, elle se consacre à la grande peinture d'Histoire et peint des toiles saisissantes de réalisme, à la manière du Caravage. Retour sur la vie et l'oeuvre d'Artemisia Gentileschi, audacieuse et fascinante artiste peintre de la Renaissance.



Artemisia Gentileschi, autoportrait en joueuse de luth, Minneapolis, clair obscur, peinture baroque, le Caravage
Autoportrait en joueuse de Luth, Artemisia Gentileschi v. 1615-1617 (Conservé à Minneapolis)


Les premières années de la vie d'Artemisia Gentileschi, confinée entre les murs de l'atelier paternel


Artemisia Gentileschi nait en 1593 à Rome, au sein d'une famille d'artistes. Son père n'est autre qu'Orazio Gentileschi (1563 - 1639), l'un des disciples du Caravage, le maître du clair-obscur. C'est donc dans l'atelier de son père que la jeune Artemisia se forme à la peinture, dès l'âge de 12 ans. Elle y apprend le dessin, mais aussi à mélanger les différents pigments permettant d'obtenir les couleurs flamboyantes de ses futures toiles. Alors qu'elle est en âge de se marier et de fonder son propre foyer, son père remarque son talent et décide de la garder auprès de lui pour qu'elle poursuive son apprentissage.



Annonciatio, Orazio Gentileschi, Rome, Villa Borghese
l'Annonciation, Orazio Gentileschi, v. 1600-1605 (conservé aux Etats-Unis)

Confinée entre les murs de l'atelier paternel, elle pose et dessine pour son père, tout en s'occupant de ses frères et de l'ensemble des taches domestiques du foyer. Des conditions de vies difficiles, qui ne découragent pas Artemisia. Elle sait que son talent sera sa porte de sortie et rêve de gloire et d'indépendance.


Même si plusieurs peintres talentuleuses ont marqué lla Renaissance et la période moderne, le fait d'être une femme est un sérieux désavantage. Ainsi, Artemisia Gentileschi n'a pas le droit d'étudier les Beaux-Arts au sein d'une école de formation. En 1611, son père la confie à Agostino Tassi (1566 - 1644), un peintre maniériste aux moeurs dissolues. Orazio espère ainsi que son ami enseignera la perspective à sa fille.





La vie mouvementée d'Artemisia Gentileschi

En 1611, la vie d'Artemisia Gentileschi bascule. Victime d'un crime resté impuni, la jeune artiste s'émancipe et commence à se faire un nom auprès des grandes mécènes, à l'image de Cosme de Médicis.


Agostino Tassi et le crime impuni


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La villa Borghese du cardinal Scipione, grand collectionneur d'art

En 1611, Artemisia travaille avec son père et son mentor à la réalisation de fresques pour le palais du cardinal Scipione Borghese, future villa Borghese. Agostino Tassi profite d'une leçon pour violer la jeune artiste, crime qui sera aussitôt dénoncé par son père.


Le procès, largement documenté, est un épisode douloureux pour la jeune femme à qui l'on impose questions accusatrices et examens traumatisants. En réalité, ce qui est reproché à Agostino Tassi n'est pas tant d'avoir violé son élève que de ne pas avoir tenu sa promesse de l'épouser pour sauver son honneur. Condamné à l'exil en 1612, Tassi put toutefois retourner à Rome grâce à la protection de ses influents mécènes.


De son côté, afin de se racheter de ce déshonneur subit par sa famille, et dont on l'estime en partie responsable, Artemisia Gentileschi est contrainte de se marier rapidement avec une connaissance de son père. Malgré son départ pour Florence et la naissance de 4 enfants, le mariage n'est pas heureux et le couple finit par se séparer.



Une femme indépendante et artiste reconnue


Artemisia Gentileschi, autoportrait en allégorie de la peinture, collection Windsor, Charles 1er, peinture baroque, Elisabeth II
Autoportrait en allégorie de la peinture, 1638-1639

Artmesia Gentileschi vit désormais en femme indépendante et en artiste reconnue. Elle voyage à travers l'Italie et profite de la protection de plusieurs mécènes, parmi lesquels Cosme II de Médicis. En 1638, elle se rend même à Londres en compagnie de son père afin de travailler pour Charles 1er, grand collectionneur d'art. On retrouve encore aujourd'hui dans les collections de la famille royales des oeuvres de Gentileschi, notamment son autoportrait en allégorie de la peinture (ci-contre).


La fin de sa vie est étonnement peu documentée, et on en sait peu sur son décès, survenu à Naples en 1656.



Artemisia Gentileschi : un style baroque au service de grandes figures féminines

Très tôt, Artemisia Gentileschi possède un style affirmé. Ses caractéristiques ? Des thèmes engagés et des toiles intenses, entre couleurs vives et clair-obscur.


Suzanne et les Vieillards, en 1612


Artemisia Gentileschi, Suzanne et les vieillards, bible, Pommersfelden, chateau de Weissenstein
Suzanne et les Vieillards, 1612 (conservé à Pommersfelden)

Sa première oeuvre personnelle, Suzanne et les vieillards, est pendant longtemps attribuée à son père, comme le seront un certain nombre de ses tableaux. Déjà, on décèle le talent de la jeune femme qui n'a alors que 17 ans.


Cet épisode relate la mésaventure de Suzanne, une jeune femme espionnée par deux hommes âgés alors qu'elle prend son bain. Vexés d'avoir été repoussés par Suzanne, les deux vieillards l'accusent d'adultère et réussissent à la faire condamner à mort. Suzanne est toutefois sauvé par Daniel, jeune prophète qui parvient à prouver son innocence.






Le travail de dessin réalisé sur le corps de Suzanne est d'une grande précision. Le jeu de lumière et la composition habile qui fait peser sur Suzanne le poids écrasant des Vieillards annoncent les futurs chefs d'oeuvre baroque de Gentileschi.



Un talent au service des grandes figures féminines de l'Histoire


Dès le début de sa carrière, Artemisia Gentileschi consacre ses oeuvres à faire le portrait de femmes souvent victimes du mauvais comportement des hommes comme c'est le cas avec Suzanne ou encore avec le personnage de Lucrèce, dont le viol par son oncle a entrainé son suicide. Elle consacre un cycle de 4 toiles à cet épisode dramatique, en écho à sa propre histoire.


Tout au long de sa vie, elle place les femmes au centre de ses toiles et en fait non pas de simples spectatrices d'un évènement historique, mais de véritables actrices capable d'influer sur le cours des choses. En peignant des figures historiques telles que Judith, Marie-Madeleine, Cléopâtre ou Sainte Cécile, elle réalise des portraits de femmes fortes qui luttent pour leur indépendance.




Artemisia Gentileschi, Lucrèce, Milan
Lucrèce, 1623-1625 (collection privée)
Artemisia Gentileschi, Lucrèce, toile perdue, Lyon
Lucrèce, 1630-1635 (collection privée)
















Artemisia Gentileschi, Lucrèce
Lucrèce, v.1635-1645 (conservé en Australie)

Artemisia Gentileschi, viol de Lucrèce, Potsdam
Le viol de Lucrèce, V. 1645-1650 (conservé à Potsdam)














Un style baroque influencé par les oeuvres du Caravage


Dessinatrice habile qui a très vite surpassé son père, Artemisia Gentileschi manie également la couleur avec talent. Sa bonne connaissance des pigments lui permet de créer des tableaux intenses, avec de puissants contrastes. Tout comme Le Caravage, elle maitrise à la perfection la technique du clair-obscur et l'utilise pour structurer ses oeuvres. Ses personnages semblent jaillirent de l'obscurité et leur mise en lumière nous fait ressentir toute l'intensité de leurs émotions.


Ses compositions sont presque toujours dénuées de décor, et ses protagonistes évoluent sur des fonds noirs ou uniformes. De cette manière, elle place leurs action au centre de sa toile. Elle dessine des visages troublant de réalisme, aux expressions quasi photographiques.


Ses toiles les plus crues sont sans aucun doute celles qui lui sont commandées par le grand Duc Cosme II de Médicis, ce même Duc qui possédait alors dans sa collection privée la fameuse toile du Caravage, David tenant la tête de Goliath, dont je vous parlais dans un précédent article.




Judith décapitant Holopherne ou l'art de la vengeance selon Artemisia Gentileschi


Puisqu'elle n'a plus d'espoir d'obtenir justice après le viol qu'elle a subit, Artemisia Gentileschi décide de se venger à sa façon.


Artemisia Gentileschi, Judtih décapitant Holopherne, galerie des Offices, Florence
Judith décapitant Holopherne, v.1620, huile sur toile conservée à la galerie des Offices de Florence

En 1620, elle consacre une toile à un sujet biblique très populaire à l'époque : la décapitation d'Holopherne par Judith, sous les yeux de sa servante. Cet épisode, tiré de l'Ancien Testament, relate comment cette jeune femme juive a sauvé son peuple des troupes envoyées par Nabuchodonosor II en décapitant le général Holopherne pendant son sommeil.



L'intensité de la toile est telle que l'on perçoit sans peine que la rage qui anime Judith est la même que celle ressentie par Artemisia envers son agresseur. Et pour vous en convaincre, sachez que c'est son autoportrait que l'artiste a réalisé à travers le visage de Judith, tandis qu'elle s'est inspirée d'Agostino Tassi pour dessiner Holopherne.


Les deux femmes apparaissent complices dans leur méfait, résolues à exécuter le général assyrien. Loins de détourner le regard face au sang qui jaillit sur le matelas, elles affrontent la scène et fixent Holopherne avec détermination, tandis qu'il se débat. Une façon pour l'artiste d'exprimer sa douleur et sa haine d'avoir été violée par Tassi quelques mois plus tôt et de voir ce crime demeurer impuni.



Judith décapitant Holopherne, Le Caravage, Rome, galerie Nationale d'Art ancien
Judith décapitant Holopherne, Le Caravage, 158, huile sur toile conservée à la galerie Nationale d'Art ancien à Rome

Ce sujet violent est assez courant parmi les commandes confiées aux peintres maniéristes et a déjà été traité par son père dans une toile toutefois moins réussie. En revanche, on la même intensité dans la toile d'Artemisia que dans celle du Caravage réalisée quelques années plus tôt. Mais alors que le maitre romain donne à la servante un rôle passif, elle est activement complice de Judith dans le tableau de Gentileschi. Les deux femmes semblent animées par la même folie meurtrière.





Les tableaux d'Artemisia Gentileschi ont longtemps été oubliés ou attribués à d'autres artistes masculins, comme son père ou même parfois Le Caravage lui-même. Mais sa vie hors du commun et son travail remarquable sont désormais largement reconnus et appréciés. Artemisia Gentileschi est aujourd'hui une source d'inspiration pour le monde des arts puisque de nombreux ouvrages, films et pièces de théâtre lui sont consacrés.


Chaque année, le prix Artémisia récompense une bande-dessinée réalisée par une ou plusieurs femmes.




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