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Plume d'Art

quelques mots sur l'art au bout d'une plume !

Photo du rédacteurMarianne Jagueneau

Quand l'art contemporain sort du cadre : 5 oeuvres qui ont fait scandale

Dernière mise à jour : 26 mars 2021


Il y a quelques jours, le street artiste Ron English a annoncé à la presse avoir acquis une œuvre de Banksy pour peindre une de ses propres créations par dessus. Conscient que l’œuvre risquait de prendre encore plus de valeur, l'artiste a toutefois avancer comme motivation principale de pointer du doigt le merchandising poussif qui entoure l'art contemporain.


Je vous propose de profiter de cette occasion pour revenir sur 5 œuvres d'art contemporain qui ont provoqué, chacune à leur manière, un petit scandale.



Scandale n° 1, le 5 octobre 2018 : Banksy ou l'autodestruction programmée


Stupeur en salle des ventes ce samedi 5 octobre à Londres : sous les yeux médusés des amateurs d'art et des employés de la célèbre maison de ventes aux enchères Sotheby's, la toile Girl with balloon est partiellement réduite en lambeaux. A peine le marteau du commissaire-priseur a-t-il frappé le pupitre, scellant l'adjudication pour 1,2 million d'euros, qu'un mécanisme dissimulé dans le cadre a entrainé la destruction de la toile. A l'heure de notre monde ultra-connecté, la nouvelle s'est répandue comme une trainée de poudre et le nom de l'artiste est arrivé sur toutes les lèvres. Banksy, street artiste anti-système, ne tarde pas à dévoiler le subterfuge et avoue avoir conçu ce cadre si particulier il y a plusieurs années, précisément au cas où l’œuvre serait un jour mise aux enchères.


Dès lors, une multitude de questions se pose : Comment s'est déclenché le mécanisme ? Banksy, dont l'identité n'a jamais été découverte, était-il dans la salle ? Qui est le mystérieux vendeur, demeuré anonyme, mais qui a tout de même possédé cette œuvre plus de 12 ans avant de la revendre ce 5 octobre ? Les employés de Sotheby's étaient-ils dans la confidence ? Et l'acheteur, lui aussi anonyme, dans tout ça ?


Certains voient dans ce happening une critique acerbe du marché de l'art, d'autres sont plus sceptiques : comment ne pas avoir anticipé que le retentissement mondial provoqué par la destruction de la toile aurait pour effet immédiat, non seulement de faire grimper la valeur de l’œuvre, mais aussi la cote de l'artiste sur ce marché de l'art qu'il dénigre ? D'ailleurs, l'acheteur se déclare finalement satisfait de posséder ni plus ni moins qu'un "bout d'histoire de l'art". L'artiste était connu par les amateurs d'art pour ces œuvres engagées et militantes, il le sera désormais par le grand public pour ce tour de passe-passe. Alors, arnaque ou coup de génie ?



Scandale n°2, le 9 juin 2015 : Anish Kapoor porte atteinte à l'intimité de la reine


L'alliance entre patrimoine et art contemporain fait souvent l'objet de craintes et les quelques tentatives de rapprochement déjà mises en oeuvre demeurent en grande partie impopulaires. L'exposition consacrée aux œuvres d'Anish Kapoor dans la très conservatrice ville de Versailles ne fait pas exception à la règle. Pourtant, le château de Versailles n'en est pas à son coup d'essai, puisque depuis une décennie plusieurs artistes contemporains y ont déjà été mis à l'honneur, de Jeff Koons à Takashi Murakami.


Anish Kapoor (1954 - ) est un plasticien britannique d'origine indienne dont la renommée est due à ses sculptures monumentales exposées un peu partout dans le monde. Certaines de ses œuvres sont accessibles, à l'instar de la série Sky Mirror, miroirs installés dans des espaces publics et positionnés de telle sorte qu'ils reflètent le ciel tout en jouant avec la lumière. Rien de subversif dans ces œuvres, donc. Oui mais voilà, à Versailles, Anish Kapoor n'entend pas se fondre dans le décor et joue d'emblée la carte de la provocation. Parmi les six sculptures qu'il installe - cinq dans les jardins du château et une en dehors du domaine - deux d'entre elles sont faites pour attirer tout particulièrement l'attention : Shooting into the Corner, qui prend place dans la salle du jeu de Paume à quelques pas du château et Dirty Corner, installée dans l'axe de la perspective monumentale du grand canal.


Une interview donné par l'artiste au JDD quelques jours avant l'inauguration de l'exposition met le feu aux poudres : Kapoor y parle de ces deux oeuvres provocatrices. Shooting in the Corner, une sculpture en forme de canon aux allures phalliques chargée de 5kg de cire, fait référence à la violence engendrée par la Révolution. Son pendant, Dirty Corner, fait 10 mètres de hauteur et prend la forme d'une trompe en métal rouillé, là encore avec une forte connotation sexuelle assumée. "le Vagin de la Reine" supposé prendre le pouvoir - l'expression est née de cette interview - cherche à provoquer. Difficile en effet d'ignorer, ne serait-ce que par les noms qu'on leur a attribué, que ces œuvres se répondent et symbolisent le roi pour la première et la reine pour la seconde.


Les réactions à l'exposition ainsi qu'aux propos de Kapoor - réels ou mal retranscrits par le journaliste selon les versions - sont disproportionnées et violentes, et Dirty Corner ne tarde pas à être vandalisée. Des paroles antisémites et complotistes y seront même taguées, mots que le plasticien a refusé d'effacer afin de rappeler au monde de l'art la haine qu'a pu provoquer une œuvre d'art.



Scandale n°3, le 16 octobre 2014 : Paul Mc Carthy et son arbre classé X


Autre lieu, autre scandale : quelques mois avant la déconvenue d'Anish Kapoor, un autre artiste contemporain a subit les foudres de ses détracteurs : il s'agit de Paul Mc Carthy (1945- ). Un peu à la manière de Jeff Koons, l'artiste américain travaille à l'aide d'imposantes structures gonflables exposées dans des lieux publics afin de toucher - choquer ? - le plus grand nombre. Passionné de cinéma, il y consacre une partie de ses études, avant de se concentrer sur la réalisation d’œuvres plastiques. Indéniablement attiré par le scatologique et le grotesque, son travail suscite un mélange d'amusement et d'incompréhension. En témoigne cette anecdote concernant sa structure géante gonflable en forme de crotte de chien, installée dans un parc en Suisse et qui s'est décrochée, parcourant presque 200 mètres dans le ciel sous les yeux médusés des riverains.



La structure gonflable installée à Paris en 2014 a nettement moins amusé. Intitulée Tree, l’œuvre a immédiatement choqué. A l'occasion de la Foire Internationale d'Art Contemporain (FIAC), le plasticien a fait appel à l'une de ses formes fétiches : une structure en forme de plug anal de 25 mètres de hauteur, qu'il a installé au beau milieu de la place Vendôme. Pour défendre son travail, l'artiste a avancé qu'il s'agissait d'une œuvre volontairement ambigüe mais représentant toutefois un arbre, pourquoi pas même un sapin de Noël, à l'approche des fêtes de fin d'année. D'ailleurs, n'est-elle pas verte, cette structure ? Malgré ces arguments, difficile pourtant d'y voir autre chose que ce fameux plug anal, surtout quand on connait le côté subversif du travail de Mc Carthy.


Là encore les réactions sont virulentes, un inconnu allant même jusqu'à agresser physiquement le plasticien. Quelques jours à peine après son inauguration, Tree est dégonflée par ses détracteurs et Mc Carthy renonce à la remettre en place.



Scandale n°4, le 13 juillet 1961: Arman pique sa première colère


La destruction d'une œuvre devant un public comme l'a fait Banksy n'est pas un fait inédit et Armand Fernandez (1928-2005), artiste franco-américain plus connu sous le pseudonyme d'Arman, a expérimenté cette technique de création dès l'année 1961.

Grand ami d'Yves Klein, qu'il a rencontré lors de ses études à Paris et avec lequel il a fondé le Nouveau Réalisme, il place l'objet au centre de son travail et expérimente diverses méthodes de création. Il rassemble par exemple des objets identiques pour faire disparaitre toute notion de singularité et en faire des accumulations. Probablement sans le savoir, les parisiens passent régulièrement devant deux de ces accumulations lorsqu'ils traversent le parvis de la gare Saint-Lazare : L'heure pour tous et son pendant, Consignes à vie, commandées par l’État en 1985 et représentant des montres et des valises empilées les unes sur les autres.


En 1961 l'artiste va plus loin et, tout en continuant à travailler sur l'objet, décide de mettre en scène sa destruction. Sa première colère se déroule le 13 juillet 1961, à l'occasion du 1er festival du Nouveau Réalisme organisé à Nice. Devant un public stupéfait, il s'emploie à réduire des meubles en morceaux. Il réitère sa performance de nombreuses fois à Paris et à Gstaad notamment, en s'attaquant cette fois à des instruments de musique. Arman souhaite ainsi développer un rapport inédit à l'objet qui, après avoir été fidèlement représenté, détourné ou accumulé, renait de ses cendres lors d'une performance en direct. Ainsi figées sur panneau, les colères d'Arman deviennent des œuvres à part entière.


Chopin's Waterloo, 1962, Gstaad, piano détruit à la masse

puis collé sur un panneau de bois.





Scandale n°5, le 28 avril 1958: Yves Klein inaugure son exposition sur le vide


La spécialisation de la sensibilité à l'état de matière première en sensibilité, cela ne vous dit rien ? Cette exposition a pourtant fait grand bruit en 1958, lorsque l'artiste français Yves Klein l'inaugure. Figure majeure de l'avant-garde française, Yves Klein (1928-1962), est l'un des fondateurs du Nouveau Réalisme. Comme évoqué plus haut, ce courant artistique d'après guerre vise à replacer l'objet et la matière au centre du processus de création.

Cet artiste à la carrière éphémère - une crise cardiaque l'emporte à 34 ans - a toutefois laissé un héritage conséquent : on lui doit notamment le fameux IKB ou International Klein Blue, une peinture d'un bleu profond qu'il a élaboré lui-même. Il va d'ailleurs consacrer une grande partie de sa carrière à employer cette couleur inédite aussi bien pour la confection de monochromes laissant la nuance de bleu révéler toute son intensité, que de toiles plus originales. Des femmes nues, dont les corps sont enduits de bleu IKB, s'étendent sur de grandes toiles blanches pour y apposer leur empreinte. A travers ces anthropométries, le corps de la femme devient ainsi le vecteur de la création artistique.


En 1958, lorsqu'il conçoit son exposition intitulée la spécialisation de la sensibilité à l'état de matière première en sensibilité dite "Le vide", ce sont des salles presque entièrement vides qu'il propose aux visiteurs. En effet, seules des vitrines et des étagères sont présentées, sans autres explications. Il justifie sa démarche lors d'une conférence en arguant qu'il souhaite créer une connexion sensible invisible entre l'art et les personnes présentes dans la galerie, en mettant l'accent sur l'immatérialité de la matière. Si beaucoup sont scandalisés par ce qu'ils perçoivent comme une véritable arnaque, d'autres se laissent convaincre par la démarche d'Yves Klein, qui parvient même à vendre des morceaux de cette matière immatérielle et invisible. En bref, il a réussi l'exploit de vendre du vide, et s'est même payé le luxe de jeter dans la Seine l'argent récolté !



A bientôt sur www.plumedart.com !

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